Le logiciel MediaWiki a été mis à jour afin d’être plus rapide. Si vous observez des problèmes, veuillez laisser un message sur Le Bistro.
Il a été ajouté l’éditeur visuel pour faciliter l’édition (exemple) et un système de discussions amélioré (exemple).

Mutuelles à Niort. Pourquoi ? Comment ?

De WikiNiort


Même si, aujourd'hui, le développement de la Communauté d'Agglomération de Niort se manifeste par des activités plus diversifiées, il demeure lié, de longue date, à celui des Mutuelles d'assurances.

La Mutualité, forme de l’économie sociale

Une entreprises est classiquement fondée sur l'apport d'un capital financier pour exercer une activité qui va permettre son accroissement. La mutualité fonctionne selon des principes fort différents. Ici l'on a affaire à un autre modèle, que l'on appelle l'économie sociale.

Cette veine est ancienne : on sait par exemple que sous l'empire romain, ce que nous appellerions aujourd'hui une société de secours mutuel garantissait les frais d'obsèques des gladiateurs malchanceux … Au cours des temps, des formes analogues ont constitué la réponse (souvent la seule possible) aux besoins ressentis par les couches de population les moins favorisées :

  • Couvrir les risques de maladie et de décès par les Caisses de secours mutuel (on vient d'en voir un exemple primitif)
  • L'accès au crédit via des caisses de crédit coopératif
  • Mieux vendre ce qu'on produit en créant des communautés de producteurs (coopératives) permettant de mieux négocier les marchés
  • Acheter moins cher par un processus analogue (association d'acheteurs (coopératives) afin d'avoir un poids élevé dans les négociations avec les fournisseurs

Ce monde, celui que construit la solidarité des personnes, a toujours existé à coté de celui qu'organisent les "possédants". Mais il s'est surtout affirmé à partir du début du 19ème siècle, à l'époque où le développement du capitalisme industriel "prolétarisait" les populations campagnardes en créant un salariat payé le moins possible.

Des penseurs de l'époque ont analysé ces évolutions. On peut citer, parmi eux, ceux qu’Engels appellera de façon un peu péjorative, les tenants d'un "socialisme utopique" :

  • Robert Owen, brillant patron de manufactures horrifié par la misère ambiante et qui a développé le mouvement coopératif en Grande Bretagne
  • Charles Fourier et ses Phalanstères où chacun œuvre selon ses affinités (!)
  • Louis Blanc et son idée des "ateliers sociaux"
    Pierre-Joseph Proudhon, l'un des théoriciens du mutuellisme et de l'autogestion
  • Charles Gide, créateur du concept d'économie sociale et théoricien du mouvement coopératif français

Il s’agit donc d’une organisation de personnes ne possédant pas de capitaux et qui s’unissent dans la mise en place et le fonctionnement des moyens propres à répondre à leurs besoins.

Laissons de côté les autres formes (coopératives, etc.) pour ne plus parler, ici, que des Mutuelles d’assurances.

Une mutuelle d’assurances est, légalement, une « société de personnes » ce qui la différencie des « sociétés de capitaux ». C'est-à-dire :

  • Elle n’a pas de capital social donc pas de propriétaire(s)
  • elle a une fonction solidaire :
  • chacun obtient la garantie qu'il attend mais participe à la couverture de tous les autres.
  • A la fois clients et patrons c'est aux associés (on dit "sociétaires") de faire en sorte que la Mutuelle corresponde aux besoins d'assurances de tous et aux meilleures conditions, Ce qui nécessite absolument des modalités de fonctionnement démocratiques.

La Mutualité veut donc dire :

  • un dessein social : organiser la solidarité dans un domaine particulier au sein d'une communauté de personnes
  • une primauté de la personne sur le profit : pas de capital à rémunérer
  • une gestion démocratique : "un homme = une voix".

Comment cela peut-il fonctionner ? Il suffit de regarder autour de soi, à Niort, pour en avoir l'illustration.

Pourquoi à Niort ?

Parmi les hypothèses, la mieux défendue est celle d'une origine catastrophique : la région Poitou-Charentes Vendée semble avoir été le berceau de la solidarité paysanne à la suite de la catastrophe du phylloxéra (puceron ravageur venu d'Amérique) dans les années 1850-1880.

On a pu observer dans l'Histoire que les épisodes catastrophiques peuvent se révéler des catalyseurs de solidarité. On peut en trouver ici des éléments confirmatifs. L'abandon des vignes ruinées par ce fléau a entraîné un développement des herbages et de l'élevage, obligeant au recours à du crédit coopératif, à la coopération dans la production et la distribution des produits, laitiers et autres, etc.

Selon Paul Talonneau (Bulletin du 4ème trimestre 1987 de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres), dès le début du siècle, notre région a connu :

  • le 1er syndicat agricole
  • la 1ère boulangerie coopérative
  • la 1ère coopérative de battage
  • la 1ère caisse d'assurances agricoles

Et, selon la même source, en 1925 le nouveau préfet des Deux-Sèvres allait être, selon les termes de ceux qui l'accueillaient, "à la tête du département le plus mutualiste de France".

Dès le début du siècle c'est ainsi le milieu agricole et apparenté qui a été porteur du mouvement mutualiste de la région. En plus de la Caisse d'assurance des agriculteurs eux-mêmes d'ailleurs, c’est en 1909, à Javarzay dans les Deux-Sèvres, lors d’une foire aux bœufs, qu’est née l’idée de créer une Mutuelle d’Assurances couvrant la responsabilité des professionnels de la viande : la Mutuelle des Marchands de Bestiaux. Devenue "Prévoyante Accidents" puis "MAPA", installée à St Jean d'Angély, elle a maintenant étendu son activité aux Métiers de Bouche et au commerce de proximité.

Terrain propice, donc, mais cela n'explique pas tout, loin de là. Il y aura aussi le jeu des circonstances … et aussi des hommes !

Comment cela s'est-il passé ?

Les temps difficiles exigent de la solidarité, comme on l’a vu plus haut pour la mutualité agricole.

Et les « années 30 » ont été une mauvaise période. Crise économique de 1929, niveau de vie en baisse, chômage… En Italie le parti fasciste amène Mussolini au pouvoir, en Allemagne Hitler est nommé Chancelier. En France, des ligues factieuses d'extrême droite tiennent le haut du pavé. La presse qui est totalement aux mains des puissances d'argent, lance des campagnes anti-fonctionnaires (qualifiés de "budgétivores") et notamment contre les instituteurs accusés de donner aux enfants des idées d'émancipation, de laïcité, de progrès et de maîtrise de l'avenir.

Malgré le sursaut populaire de 1936, qui, un court moment, a pu contrebalancer cette influence, cette situation nous amènera à la guerre.

La création de la MAAIF en 1934 a donc été un réflexe à la fois politique et économique de la part d'un groupe local d'instituteurs, notamment : Edmond Proust et Jean Lauroua des Deux-Sèvres et Fernand Braud dans la Vendée proche.

Ce n'était pas facile évidemment, mais les premiers 300 sociétaires nécessaires à la constitution d'une mutuelle ont été rapidement recrutés et l'idée a très vite prospéré dans la France entière, prenant appui sur les nombreux enseignants militants des thèmes humanistes, qui s'en sont fait aussitôt les relais.

Pour souligner l'état d'esprit de l'époque, trois citations :

"La MAAIF a déjà libéré de l'emprise du Capital, environ 1 automobiliste sur 150. Soyez de bons propagandistes et cette proportion sera doublée avant peu". (Edmond Proust, Guide MAAIF de 1937, p. 12)..

Avec la même origine : "Seule la répugnance à procurer aux Compagnies Capitalistes des bénéfices, utilisés en campagnes de presse contre l'école laïque et la démocratie nous a poussés à nous libérer de leur emprise." .

Ou encore dans le Guide MAAIF de 1950 (p. 53) : "En cas d'accident, ne vous affolez pas. Ayez présente à l'esprit l'idée réconfortante que vos intérêts seront défendus, non par une Compagnie plus préoccupée de bénéfices et de dividendes que de votre défense, mais par des camarades fraternels et dévoués dans le malheur".

Malgré un développement rapide, la MAAIF aura du mal à passer la guerre, notamment en raison des restrictions qui amènent les automobilistes à ne plus circuler et, en conséquence, à ne plus s'assurer. En outre, bien des responsables mutualistes sont dans la Résistance (le Président de la MAAIF, Edmond Proust, est lui-même dans la clandestinité sous le nom de "Colonel Chaumette").

Cependant, grâce notamment à des sociétaires qui acceptent de continuer à cotiser pour des véhicules qu'ils ne peuvent plus utiliser, le mauvais passage s'achève et dès après la guerre la MAAIF connaît une reprise forte.

Dans le cadre de cette reprise d'activité d'une période que l'on appellera celle des "30 glorieuses" (Jean Fourastié) il faut noter la création, à Niort, dès 1947, de la CAMIF, coopérative de consommation des adhérents de la MAIF. Destinée au début à permettre le financement d'une Caisse de solidarité des Instituteurs, complémentaire des garanties d'assurances, le rapide accroissement du champ des garanties rendra cet objectif obsolète. La Coopérative connaîtra plus de cinquante ans de fort développement. Toutefois, en 2008, une grave crise entrainera sa dissolution.

La réussite de la MAIF (le 2ème "A" de son sigle a disparu dès que les garanties offertes ont permis de couvrir les risques au-delà de ceux qui découlent de l'Automobile), la réussite de la MAIF va donner des idées à d'autres niortais.

En 1950, c'est un artisan tailleur, M. Trioulier qui, avec Yves Thiré (qui était alors l'un des juristes de la MAIF) crée la MAAF, pour garantir les risques des artisans, bien sur, mais aussi des formes professionnelles voisines, professions libérales, travailleurs indépendants …

En 1960 un industriel local, M. Jacques Mathé obtient le concours d'un haut fonctionnaire du corps de contrôle des assurances au Ministère des Finances, polytechnicien, qui est M. Jacques Vandier et ils fondent la MACIF (Mutuelle d'Assurance des Commerçants et Industriels de France). Jacques Vandier est, de plus, Deux-Sévrien lui-même et il connaît fort bien la MAIF dont il a la charge du contrôle. Plutôt que de réserver la nouvelle Mutuelle aux seuls industriels et commerçants, Jacques Vandier ouvre tout de suite la MACIF à l'ensemble des salariés du commerce et de l'industrie ce qui accroît considérablement son marché potentiel et en fera rapidement la plus grosse société d'assurances contre les accidents de France !

Enfin, dernière née des Mutuelles niortaises, la SMACL (Société Mutuelle Accidents des Collectivités Locales) est créée en 1974 à l'initiative du Maire de Niort de l'époque, M. René Gaillard, avec l'aide notamment du Directeur Adjoint de la MAIF de l'époque, M. Bernard Bellec.

Conclusion

Ainsi, la CAN (Communauté d'Agglomération de Niort) doit beaucoup, pour son développement économique, à ces aventures humaines, à ces engagements qui, s'ils n'ont pas chaque fois eu le même fondement politique, la même tonalité anticapitaliste que celle des fondateurs de la MAIF, n'en sont pas moins éloquents. Et la réussite des Mutuelles comme entreprises qui, hors d’une logique actionnariale, privilégient la solidarité et la définition démocratique des solutions, témoigne de la validité de cette organisation comme modèle de réussite économique.

Sources

  • Jean Ducos